Docteur Thibault Puszkarek - Blog
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#PrivésDeMG
Publié le 23/09/2013
Médecine générale :
dernier arrêt avant le désert
Comment sauver la médecine générale en France et assurer des soins primaires de qualité répartis sur tout le territoire ?
Certains d'entre nous avaient fait en 2012,
un certain nombre de propositions dans le cadre de l'opération #PrivésDeDéserts.
Marisol Touraine présente ce lundi sa Stratégie nationale de santé. Cet évènement constitue l'occasion de nous rappeler à son bon souvenir, rappel motivé par l'extraordinaire enthousiasme qui avait accompagné nos propositions (voir plus bas les 600 commentaires) dont aucune n'a été reprise par la Ministre.
Nos idées sont concrètes et réalistes pour assurer l'avenir de la médecine générale et au-delà, des soins primaires de demain.
Notre objectif est de concilier des soins de qualité, l'éthique de notre profession, et les impératifs budgétaires actuels.
Voici une synthèse de ces propositions.
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Sortir du modèle centré sur l'Hôpital
Depuis des décennies, l'exercice de la médecine ambulatoire est marginalisé, privé d'enseignants, coupé des étudiants en médecine. La médecine hospitalière et salariée est devenue une norme pour les étudiants en médecine, conduisant les nouvelles promotions de diplômés à délaisser de plus en plus un exercice ambulatoire qu'ils n'ont jamais (ou si peu) rencontré pendant leurs études.
Cette anomalie explique en grande partie les difficultés actuelles. Si l'hôpital reste le lieu privilégié d'excellence, de recherche et de formation pour les soins hospitaliers, il ne peut revendiquer le monopole de la formation universitaire. La médecine générale, comme la médecine ambulatoire, doivent disposer d'unités de recherche et de formation universitaires spécifiques, là où nos métiers sont pratiqués, c'est-à-dire en ville et non à l'hôpital.
La formation universitaire actuelle, pratiquée quasi-exclusivement à l'hôpital, fabrique logiquement des hospitaliers. Pour sortir de ce cercle vicieux, il nous semble nécessaire de réformer profondément la formation initiale des étudiants en médecine.
Cette réforme aura un double effet :
- Rendre ses lettres de noblesse à la médecine « de ville » et attirer les étudiants vers ce mode d'exercice. Nous ne pouvons reprocher aux étudiants en médecine de ne pas choisir une spécialité qu'ils ne connaissent pas.
- Apporter des effectifs importants de médecins immédiatement opérationnels dans les zones sous-médicalisées.
Il n'est pas question dans ces propositions de mesures coercitives aussi injustes qu'inapplicables contraignant de jeunes médecins à s'installer dans des secteurs déterminés par une tutelle sanitaire.
Toute mesure visant à obliger les jeunes médecins généralistes à s'installer en zone déficitaire aura un effet repoussoir majeur. Elle ne fera qu'accentuer la désaffection pour la médecine générale, poussant les jeunes générations vers des offres salariées (nombreuses), voire vers un exercice à l'étranger.
Une véritable modernisation de la formation des médecins est nécessaire. Il s'agit d'un rattrapage accéléré d'opportunités manquées depuis 50 ans par méconnaissance de la réalité du terrain. Si la réforme Debré de 1958 a créé les CHU (Centres Hospitaliers et Universitaires), elle a négligé la création de pôles universitaires d'excellence, de recherche et de formation en médecine générale. Ces pôles existent dans d'autres pays, réputés pour la qualité et le coût modéré de leur système de soins.
Idées-forces
Les principales propositions des médecins généralistes blogueurs sont résumées ci-dessous. Elles sont applicables rapidement.
1) Enseignement de la Médecine Générale par des Médecins Généralistes, dès le début des études médicales
2) Construction par les collectivités locales ou les ARS de 1000 maisons de santé pluridisciplinaires qui deviennent aussi des maisons médicales de garde pour la permanence des soins, en étroite collaboration avec les professionnels de santé locaux
3) Décentralisation universitaire qui rééquilibre la ville par rapport à l'hôpital
Ces maisons de santé se voient attribuer un statut universitaire. Elles hébergent des externes, des internes et des chefs de clinique (3000 créations de postes). Elles deviennent des MUSt : Maisons Universitaires de Santé qui constituent l'équivalent du CHU pour la médecine de ville.
4) Attractivité de ces MUSt pour les médecins seniors qui acceptent de s'y installer et d'y enseigner
Statut d'enseignant universitaire avec rémunération spécifique fondée sur une part salariée majoritaire et une part proportionnelle à l'activité.
5) Création d'un nouveau métier de la santé : "Agent de gestion et d'interfaçage de MUSt" (AGI)
Ces agents polyvalents assurent la gestion de la MUSt, les rapports avec les ARS et l'Université, la facturation des actes et les tiers payants. De façon générale, les AGI gèrent toute l'activité administrative liée à la MUSt et à son activité de soin. Ce métier est distinct de celui de la secrétaire médicale de la MUSt. Les nouveaux postes d'AGI pourraient être pourvus grâce au reclassement des visiteurs médicaux qui le souhaiteraient, après l'interdiction de cette activité. Ces personnels trouveraient là un emploi plus utile et plus prestigieux que leur actuelle activité commerciale. Il s'agirait d'une solution humainement responsable. Il ne s'agit en aucun cas de jeter l'opprobre sur les personnes exerçant cette profession.
6) Les "chèques-emploi médecin"
Une solution innovante complémentaire à la création du métier d'AGI pourrait résider dans la création de "chèques-emploi" financés à parts égales par les médecins volontaires et par les caisses.
Il s'agit d'un moyen de paiement simplifié de prestataires de services (AGI, secrétaires, personnel d'entretien). Il libérerait des tâches administratives les médecins isolés qui y passent un temps considérable, sans les contraindre à se transformer en employeur, statut qui repousse beaucoup de jeunes médecins.
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Nos propositions et nos visions de l'avenir de la Médecine Générale,
postées simultanément par l'ensemble des 86 participants, sur nos blogs et comptes Twitter le 23 septembre 2013, sont des idées simples, réalistes et réalisables, et n'induisent pas de surcoût excessif pour les budgets sociaux.
L'ensemble des besoins de financement sur 15 ans ne dépasse pas ceux du Plan Cancer ou du Plan Alzheimer ; il nous semble que la démographie médicale est un objectif sanitaire d'une importance tout à fait comparable à celle de la lutte contre ces deux maladies.
Ce ne sont pas des augmentations d'honoraires que nous demandons, mais des réallocations de moyens et de ressources pour rendre son attractivité à l'exercice libéral.
Les participants à l'opération (Noms ou Pseudos Twitter) :
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Hospitalo-centrisme
Publié le 20/09/2013
Je vous l'ai déjà dit dans de mon premier billet : si je suis entré en médecine, c'est pour faire de la médecine générale en milieu rural.
Mais ce fut un choix difficile !
Parce que ma formation a fini par me faire douter :
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Parce que, tout au long de celle-ci, mes professeurs et maîtres de stage ont dénigré cette discipline
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Parce que leur avouer ma vocation m'a souvent valu un regard incrédule, voire carrément du mépris
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Parce que je n'ai pas eu accès au moindre stage de médecine générale avant de choisir cette spécialité
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Parce que, le seul abord de la médecine générale dont ma promotion a bénéficié d'office, c'était une unique journée durant laquelle je me suis autant fait ch*er qu'à ma JAPD (maintenant, ça s'appelle "
Journée défense et citoyenneté", vous voyez de quoi je parle ?) (je dis "
d'office", parce qu'il existe tout de même une
option dédiée à la médecine générale qui m'a beaucoup éclairé)
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Parce que tous mes stages se sont faits à l'hôpital
Alors que, à l'inverse :
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J'aime prendre en charge toutes sortes de pathologies, toutes disciplines confondues
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J'aime voir des patients de tous âges, des nouveau-nés jusqu'aux personnes très âgées
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J'aime aussi les voir lorsqu'ils vont bien
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J'aime faire de la prévention
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J'aime voir comment la mise en place de petits riens peu grandement améliorer leur vie et leur autonomie : il n'est pas toujours nécessaire de sortir la grosse artillerie
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J'aime constater que mes connaissances sont incomplètes un peu partout voire obsolètes et m'acharner à me tenir à jour
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J'aime ce mode de vie et d'exercice que j'avais toujours envisagé, libre, autonome, sans hiérarchie
Mais j'en ai mis, du temps, pour être sur de mon choix ! Et aujourd'hui, en stage ambulatoire chez trois médecins généralistes, je suis pleinement rassuré. C'est cette spécialité-là qui me plait.
Je ne suis vraiment pas un cas isolé : nombreux sont ceux qui se destinaient à la médecine générale... et nombreux sont ceux qui ont changé d'avis !
Je suis très loin de vouloir que tous les étudiants choisissent de se spécialiser en médecine générale. Juste que chacun puisse choisir en connaissance de cause.
Après avoir trimé pour être les meilleurs pendant 6 ans, pourquoi finalement opter pour une spécialité aussi rabaissée et dont on ne sait presque rien ?!
Voilà, c'est un billet naïf et bisounours mais, pour moi et avec le faible recul dont je dispose,
le regain nécessaire d'attrait pour la médecine générale passe d'abord par la fin de l'hospitalo-centrisme et ce, dès nos études. Tout tourne autour de l'hopital et on ne connait que ça. L'hôpital, pour les étudiants, c'est
le lieu où l'on soigne bien les malades. La médecine ambulatoire, c'est l'inconnu total. D'ailleurs les médecins généralistes sont mauvais : c'est toujours eux qui prennent l'embolie pulmonaire pour une bronchite dans les dossiers de préparation aux ECN.
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Il faut enseigner la médecine générale à la fac. Et par des généralistes !
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Il faut rendre accessible un stage de médecine générale à tous les étudiants. Et encore, je trouve que ce stage devrait être obligatoire durant l'externat. Au même titre que ceux de chirurgie, pédiatrie, gynéco-obstétrique et médecine interne. Cela nous permettrait de choisir (ou pas !) cette spécialité avec davantage de cartes en main.
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Il faut (vraiment) que nos professeurs arrêtent de nous marteler "
Attention, vous n'avez pas le droit de vous tromper sur ce point. Sinon, hop, moins 2000 places au concours et vous terminez généraliste dans la Creuse"
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Il faut que les départements facultaires de médecine générale soient dirigés par des médecins généralistes. C'est complètement fou, mais ce n'est pas le cas dans ma fac !
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Il faut que
tous les internes de médecine générale aient davantage qu'un unique semestre de médecine ambulatoire sur leurs trois ans d'internat !
Pourquoi ?
Parce que, si rien de change, on sera vraiment
#PrivésDeMG !
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La croupe est pleine
Publié le 02/06/2013
Deuxième semestre d'internat, stage ambulatoire chez 3 praticiens libéraux. J'écrirai forcément plusieurs billets pendant cette période riche en enseignements dans de nombreux domaines. Mais celui-ci concerne une garde. Oui parce que j'ai pris des gardes dans un centre de gériatrie pour essayer de combler mes lacunes (et aussi gagner un peu d'argent).
On m'appelle à 23h pour une douleur abdominale aiguë. Je regarde le dossier informatique du patient pour avoir une idée du contexte. Homme de 73 ans, grabataire, hospitalisé en long séjour. Antécédents habituels d'HTA et de troubles cognitifs. Pas d'allergie. Hospitalisé pour surmenage de l'aidant naturel. Rien de bien récent à me mettre sous la dent. Autant dire qu'au moment où je frappais à la porte de sa chambre, je n'avais fait qu'éliminer les causes gynéco-obstétricales de mon arbre décisionnel sur les douleurs abdominales.
J'ouvre. Mon patient est allongé sur le dos, avec un faciès effectivement douloureux, les mains sur le ventre. A ses côtés l'infirmière de nuit qui va m'offrir le diagnostic sur un plateau :
- Ca fait deux heures qu'il est comme ça.
- Ah ? Et il s'est passé quelque chose de particulier ces derniers temps ?
- Pas vraiment, à part les biopsies de prostate ce matin.
A ce stade vous avez comme moi trouvé le diagnostic et imaginé l'absurdité de ce que mon patient a subi, surtout si j'ajoute qu'il avait une sacrée voussure hypogastrique mate à la percussion !
Et oui, un grand classique aux ECN que la rétention aiguë d'urine sur caillotage d'hématurie, ici provoquée par les biopsies de prostate. Et première pose de sonde vésicale à double courant pour moi.
J'en ai eu la confirmation plus tard : on a fait des trous dans la prostate de cet homme parce que son dosage de PSA était inhabituellement élevé. Il n'avait aucune symptomatologie préexistante ni aucun antécédent prostatique. Et il était dément, alors imaginez le rapport bénéfice/risque... Sans parler de l'intérêt d'un dépistage tout court et du dosage des PSA... Alors, franchement, pourquoi être allé les lui doser ?!
J'étais surtout abasourdi, en fait. Pas en colère, mais abasourdi. Ces gardes m'apprennent à demander moins d'examens complémentaires en faisant davantage confiance à la clinique et en soupesant systématiquement leur intérêt. Et, deuxième apprentissage majeur : à avoir une prise en charge adaptée, la moins invasive possible. Alors je soupèse, je soupèse, mais quand je vois ce type de prise en charge, j'ai vraiment les boules !
Justine, 13 ans
Publié le 03/04/2013
J0 :
Service de gynécologie-obstétrique. Vendredi, 8h30, salle de staff. Comme d'habitude, nous, internes et externes, présentons tout en les découvrant les dossiers médicaux des patientes ayant accouché la veille. J'en arrive au second dossier de ma pile et je synthétise tout haut :
Mlle G. Justine, 13 ans
Sans antécédents médicaux ni chirurgicaux particuliers
Primigeste
Grossesse bien suivie, groupe A+, Rubéole+, Toxo-
A accouché hier par césarienne programmée pour bassin cliniquement rétréci
Saignements 220cc
A permis la naissance de Léo pesant 2950 grammes
Criant de suite, Apgar 10-10-10, pH artériel 7.32
Allaitement artificiel
A en croire le bruit de fond pendant ma lecture, je ne suis pas le seul à être étonné de l'âge de la nouvelle maman. Etant l' "
interne des suites de couches" pendant toute la semaine prochaine, je suis enthousiaste à l'idée de pouvoir en apprendre davantage.
J3 :
Je monte en suites de couches après le staff (et le café). Nous sommes lundi. Je ne suis pas étonné que mes petites missions soient nombreuses : il me faut rattraper le retard du week-end. Il est 9h du matin, le service est en effervescence. Le personnel doit à la fois gérer les patientes venant/sur le point d'accoucher, celles dont une césarienne est prévue dans la matinée, et les grossesses pathologiques.
Quand à moi, je suis essentiellement dévolu aux patientes ayant eu une césarienne. Il s'agit de voir globalement comment elles se portent, vérifier la cicatrice pariétale, m'assurer de l'absence d'infection urinaire ou de thrombose veineuse profonde, et de leur parler du retour à domicile : l'anticoagulation, le contrôle des plaquettes, les inhibiteurs de montée de lait assez fréquemment
(mon chef de service y tient beaucoup et balaye mes réticences), les antalgiques, parfois la substitution en fer, le passage de l'infirmière pour les injections les prises de sang et l'ablation des agrafes/fils, et la reprise d'une contraception. Effectivement, ça ne vend pas du rêve et l'intérêt intellectuel des suites de couches est assez limité. Mais c'est plutôt plaisant, les patientes étant en général agréables et très demandeuses d'information.
Bref, j'en arrive à la porte de Justine. Il est 10h30. Je frappe puis entre. Noir quasi complet. Deux formes allongées. Je distingue vaguement une tête ensommeillée qui se relève. Premier contact avec ma patiente. Pris de cours, je bredouille un "Ah ! Euh je repasserai plus tard".
Je m'occupe des autres patientes puis retourne dans la chambre de Justine vers 11h30. J'entre. Cette fois elle est bien réveillée. Premier choc. C'est étrange de voir quelqu'un de si jeune et si petit avoir accouché ! La personne debout à sa gauche, un peu plus âgée, m'apprend qu'il est le père biologique.
Je débute l'entretien par des questions sur la douleur. D'habitude les patientes me répondent que, non, ça va et que même d'ailleurs elles n'ont pas pris les antalgiques proposés, regardez docteur ils sont encore sur la petite table. Mais pas Justine. Elle, elle se plaint de fortes douleurs en fosse iliaque droite, au niveau de sa cicatrice. Le transit est déjà repris, la cicatrice est propre, non inflammatoire, sans écoulement, le ventre complètement souple et elle n'est pas hyperthermique. Je réponds donc que je comprends qu'elle ait mal, mais que je ne vois rien d'inquiétant : elle a quand même eu une intervention chirurgicale, et c'est normal de ressentir des douleurs. J'essaye de la rassurer au mieux. Je majore les antalgiques.
Arrive le moment du choix de la contraception. Dans la plupart des cas, plusieurs méthodes sont possibles et j'évite d'influencer les patientes. Je leur explique grosso modo leur fonctionnement, principes de prises, efficacité, effets secondaires fréquents, ce qui les aide à choisir celle qui leur conviendra le mieux. Mais j'entre dans leur chambre sans avoir décidé à l'avance pour elles et ce sont mes informations qui leur permettent, à elles, de choisir de façon active leur méthode de contraception.
Mais pour Justine c'est différent. J'ai lu dans le dossier qu'il s'agissait d'une grossesse non désirée, survenue alors qu'elle prenait une pilule œstroprogestative. C'est donc limpide avant même que je pousse la porte de sa chambre. Une pilule contraceptive, quelle qu'elle soit, serait un très mauvais calcul vu son observance thérapeutique prévisible. De même, le délai des 48h après l'accouchement étant dépassé, la possibilité d'un stérilet ne m'enchante pas puisque cela signifierait laisser ma patiente sortir sans contraception efficace, en lui proposant de se le faire poser par son médecin traitant ou son gynécologue quatre semaines plus tard. L'implant progestatif représente à mes yeux la meilleure alternative possible.
Deuxième choc en en discutant avec Justine, auquel j'aurais pourtant dû m'attendre : elle ne connaît rien de son anatomie, de la physiologie de la fécondation et des moyens contraceptifs. Elle a pris "
la pilule" (œstroprogestative) pendant un peu plus d'un an sans trop savoir à quoi elle servait. Un jour sur deux, voire un jour sur trois. D'ailleurs elle ne connaît pas le mot contraception.
L'avantage des suites de couches est que je dispose de beaucoup de temps. Et Justine me semble, malgré son jeune âge, tout à fait réceptive aux informations que je pourrais lui fournir. De ce fait, c'est vraiment plaisant. Je commence par lui expliquer son anatomie pelvienne, oralement, à l'aide de mes gestes, puis sur une feuille de papier. Je ne fais que survoler les mécanismes des cycles féminins, par crainte de perdre ma patiente dans des explications hormonales que je ne me sens pas capable de simplifier suffisamment. Par contre, j'insiste davantage sur la physiologie de la fécondation, la rencontre des gamètes et la migration de l'œuf. Cela me semble indispensable pour qu'elle puisse comprendre par quels moyens il est possible d'éviter de tomber enceinte. S'en suit donc une explication des différentes méthodes contraceptives existantes. C'est long mais enrichissant pour tous les deux. Elle comprend beaucoup de choses et semble véritablement intéressée. Je termine l'entretien en lui disant qu'une décision n'est pas obligatoire aujourd'hui, nous ne sommes finalement que trois jours après son accouchement. Je lui propose d'en reparler le lendemain. Je résume donc mon examen clinique sur la feuille des observations médicales, en terminant par "
Informations données sur les différentes méthodes contraceptives, choix différé à demain".
Les sages-femmes m'assurent que les services de PMI sont avisés de l'accouchement et qu'une pédopsychiatre passera dans l'après-midi. C'est à ce moment que je prends conscience de la complexité de cette situation et de la foule de questions qui en découlent. Il faut que je profite de la présence de ces intervenants pour en apprendre le plus possible.
J4 :
La pédopsychiatre est effectivement passée mais n'a pas laissé de mot. Dommage. Par contre je tombe sur le médecin de la PMI qui sort de la chambre de Justine. Je me présente et lui montre mon intérêt pour la situation de Justine. Celui-ci me transmet alors de nombreuses informations.
Tout d'abord, Justine a eu un vécu difficile pendant son adolescence, avec des "
histoires de viol et d'alcool" pour lesquelles une enquête sociale est en cours pour information préoccupante. Du point de vue scolaire tout se passe bien et elle est en classe de 5ème au collège. Mais il y a également des points positifs qui le rendent finalement plutôt optimiste. Certes la grossesse n'était pas prévue, mais elle a été bien acceptée. De plus le choix du prénom de l'enfant s'est fait avec le conjoint ce qui, d'après elle, est un bon signe. Justine est aussi très entourée par les grands-parents ; les siens et ceux du conjoint. La PMI a aussi pu suivre la grossesse et a noté que Justine pose beaucoup de questions et se montre très concernée.
Peu après le départ du médecin de la PMI, la sage-femme en charge de Justine vient me trouver. Elle m'informe que Justine veut désormais reprendre
la pilule. Je m'effondre sur mon siège et comprends peu à peu que la sage-femme l'a fortement orientée dans cette direction, "
puisque c'est ça qu'elle prenait avant".
Un peu dépité, je retourne donc dans la chambre de Justine et, progressivement, je réussis à lui faire comprendre que l'implant est la méthode contraceptive la plus adaptée à sa situation. Parce que l'observance est assurée, parce qu'on pourra le lui poser sans douleur pendant cette hospitalisation afin qu'elle n'ait plus à y penser par la suite, et parce que son retrait sera très facile en cas d'effet indésirable dérangeant. Elle finit donc par accepter après concertation avec son conjoint et sa mère. Je leur remet une ordonnance afin qu'ils puissent aller chercher l'implant en pharmacie pour le lendemain.
J5 :
La pose de l'implant s'est très bien déroulée et, fort heureusement, de façon indolore. Après concertation avec les services de PMI et le médecin traitant de Justine, le retour à domicile est organisé pour le lendemain. Une puéricultrice passera le jour même à domicile, puis une sage femme du service de PMI dès le lendemain. J'ai également appelé l'infirmière que Justine souhaitait voir passer à domicile afin de m'assurer que cela soit rapidement mis en place.
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