Justine, 13 ans
Publié le 03/04/2013
J0 :
Service de gynécologie-obstétrique. Vendredi, 8h30, salle de staff. Comme d'habitude, nous, internes et externes, présentons tout en les découvrant les dossiers médicaux des patientes ayant accouché la veille. J'en arrive au second dossier de ma pile et je synthétise tout haut :
Mlle G. Justine, 13 ans
Sans antécédents médicaux ni chirurgicaux particuliers
Primigeste
Grossesse bien suivie, groupe A+, Rubéole+, Toxo-
A accouché hier par césarienne programmée pour bassin cliniquement rétréci
Saignements 220cc
A permis la naissance de Léo pesant 2950 grammes
Criant de suite, Apgar 10-10-10, pH artériel 7.32
Allaitement artificiel
A en croire le bruit de fond pendant ma lecture, je ne suis pas le seul à être étonné de l'âge de la nouvelle maman. Etant l' "
interne des suites de couches" pendant toute la semaine prochaine, je suis enthousiaste à l'idée de pouvoir en apprendre davantage.
J3 :
Je monte en suites de couches après le staff (et le café). Nous sommes lundi. Je ne suis pas étonné que mes petites missions soient nombreuses : il me faut rattraper le retard du week-end. Il est 9h du matin, le service est en effervescence. Le personnel doit à la fois gérer les patientes venant/sur le point d'accoucher, celles dont une césarienne est prévue dans la matinée, et les grossesses pathologiques.
Quand à moi, je suis essentiellement dévolu aux patientes ayant eu une césarienne. Il s'agit de voir globalement comment elles se portent, vérifier la cicatrice pariétale, m'assurer de l'absence d'infection urinaire ou de thrombose veineuse profonde, et de leur parler du retour à domicile : l'anticoagulation, le contrôle des plaquettes, les inhibiteurs de montée de lait assez fréquemment
(mon chef de service y tient beaucoup et balaye mes réticences), les antalgiques, parfois la substitution en fer, le passage de l'infirmière pour les injections les prises de sang et l'ablation des agrafes/fils, et la reprise d'une contraception. Effectivement, ça ne vend pas du rêve et l'intérêt intellectuel des suites de couches est assez limité. Mais c'est plutôt plaisant, les patientes étant en général agréables et très demandeuses d'information.
Bref, j'en arrive à la porte de Justine. Il est 10h30. Je frappe puis entre. Noir quasi complet. Deux formes allongées. Je distingue vaguement une tête ensommeillée qui se relève. Premier contact avec ma patiente. Pris de cours, je bredouille un "Ah ! Euh je repasserai plus tard".
Je m'occupe des autres patientes puis retourne dans la chambre de Justine vers 11h30. J'entre. Cette fois elle est bien réveillée. Premier choc. C'est étrange de voir quelqu'un de si jeune et si petit avoir accouché ! La personne debout à sa gauche, un peu plus âgée, m'apprend qu'il est le père biologique.
Je débute l'entretien par des questions sur la douleur. D'habitude les patientes me répondent que, non, ça va et que même d'ailleurs elles n'ont pas pris les antalgiques proposés, regardez docteur ils sont encore sur la petite table. Mais pas Justine. Elle, elle se plaint de fortes douleurs en fosse iliaque droite, au niveau de sa cicatrice. Le transit est déjà repris, la cicatrice est propre, non inflammatoire, sans écoulement, le ventre complètement souple et elle n'est pas hyperthermique. Je réponds donc que je comprends qu'elle ait mal, mais que je ne vois rien d'inquiétant : elle a quand même eu une intervention chirurgicale, et c'est normal de ressentir des douleurs. J'essaye de la rassurer au mieux. Je majore les antalgiques.
Arrive le moment du choix de la contraception. Dans la plupart des cas, plusieurs méthodes sont possibles et j'évite d'influencer les patientes. Je leur explique grosso modo leur fonctionnement, principes de prises, efficacité, effets secondaires fréquents, ce qui les aide à choisir celle qui leur conviendra le mieux. Mais j'entre dans leur chambre sans avoir décidé à l'avance pour elles et ce sont mes informations qui leur permettent, à elles, de choisir de façon active leur méthode de contraception.
Mais pour Justine c'est différent. J'ai lu dans le dossier qu'il s'agissait d'une grossesse non désirée, survenue alors qu'elle prenait une pilule œstroprogestative. C'est donc limpide avant même que je pousse la porte de sa chambre. Une pilule contraceptive, quelle qu'elle soit, serait un très mauvais calcul vu son observance thérapeutique prévisible. De même, le délai des 48h après l'accouchement étant dépassé, la possibilité d'un stérilet ne m'enchante pas puisque cela signifierait laisser ma patiente sortir sans contraception efficace, en lui proposant de se le faire poser par son médecin traitant ou son gynécologue quatre semaines plus tard. L'implant progestatif représente à mes yeux la meilleure alternative possible.
Deuxième choc en en discutant avec Justine, auquel j'aurais pourtant dû m'attendre : elle ne connaît rien de son anatomie, de la physiologie de la fécondation et des moyens contraceptifs. Elle a pris "
la pilule" (œstroprogestative) pendant un peu plus d'un an sans trop savoir à quoi elle servait. Un jour sur deux, voire un jour sur trois. D'ailleurs elle ne connaît pas le mot contraception.
L'avantage des suites de couches est que je dispose de beaucoup de temps. Et Justine me semble, malgré son jeune âge, tout à fait réceptive aux informations que je pourrais lui fournir. De ce fait, c'est vraiment plaisant. Je commence par lui expliquer son anatomie pelvienne, oralement, à l'aide de mes gestes, puis sur une feuille de papier. Je ne fais que survoler les mécanismes des cycles féminins, par crainte de perdre ma patiente dans des explications hormonales que je ne me sens pas capable de simplifier suffisamment. Par contre, j'insiste davantage sur la physiologie de la fécondation, la rencontre des gamètes et la migration de l'œuf. Cela me semble indispensable pour qu'elle puisse comprendre par quels moyens il est possible d'éviter de tomber enceinte. S'en suit donc une explication des différentes méthodes contraceptives existantes. C'est long mais enrichissant pour tous les deux. Elle comprend beaucoup de choses et semble véritablement intéressée. Je termine l'entretien en lui disant qu'une décision n'est pas obligatoire aujourd'hui, nous ne sommes finalement que trois jours après son accouchement. Je lui propose d'en reparler le lendemain. Je résume donc mon examen clinique sur la feuille des observations médicales, en terminant par "
Informations données sur les différentes méthodes contraceptives, choix différé à demain".
Les sages-femmes m'assurent que les services de PMI sont avisés de l'accouchement et qu'une pédopsychiatre passera dans l'après-midi. C'est à ce moment que je prends conscience de la complexité de cette situation et de la foule de questions qui en découlent. Il faut que je profite de la présence de ces intervenants pour en apprendre le plus possible.
J4 :
La pédopsychiatre est effectivement passée mais n'a pas laissé de mot. Dommage. Par contre je tombe sur le médecin de la PMI qui sort de la chambre de Justine. Je me présente et lui montre mon intérêt pour la situation de Justine. Celui-ci me transmet alors de nombreuses informations.
Tout d'abord, Justine a eu un vécu difficile pendant son adolescence, avec des "
histoires de viol et d'alcool" pour lesquelles une enquête sociale est en cours pour information préoccupante. Du point de vue scolaire tout se passe bien et elle est en classe de 5ème au collège. Mais il y a également des points positifs qui le rendent finalement plutôt optimiste. Certes la grossesse n'était pas prévue, mais elle a été bien acceptée. De plus le choix du prénom de l'enfant s'est fait avec le conjoint ce qui, d'après elle, est un bon signe. Justine est aussi très entourée par les grands-parents ; les siens et ceux du conjoint. La PMI a aussi pu suivre la grossesse et a noté que Justine pose beaucoup de questions et se montre très concernée.
Peu après le départ du médecin de la PMI, la sage-femme en charge de Justine vient me trouver. Elle m'informe que Justine veut désormais reprendre
la pilule. Je m'effondre sur mon siège et comprends peu à peu que la sage-femme l'a fortement orientée dans cette direction, "
puisque c'est ça qu'elle prenait avant".
Un peu dépité, je retourne donc dans la chambre de Justine et, progressivement, je réussis à lui faire comprendre que l'implant est la méthode contraceptive la plus adaptée à sa situation. Parce que l'observance est assurée, parce qu'on pourra le lui poser sans douleur pendant cette hospitalisation afin qu'elle n'ait plus à y penser par la suite, et parce que son retrait sera très facile en cas d'effet indésirable dérangeant. Elle finit donc par accepter après concertation avec son conjoint et sa mère. Je leur remet une ordonnance afin qu'ils puissent aller chercher l'implant en pharmacie pour le lendemain.
J5 :
La pose de l'implant s'est très bien déroulée et, fort heureusement, de façon indolore. Après concertation avec les services de PMI et le médecin traitant de Justine, le retour à domicile est organisé pour le lendemain. Une puéricultrice passera le jour même à domicile, puis une sage femme du service de PMI dès le lendemain. J'ai également appelé l'infirmière que Justine souhaitait voir passer à domicile afin de m'assurer que cela soit rapidement mis en place.